Monsieur Vock, pour apprendre à vous connaître, il faut vous rencontrer en personne. En effet, on ne trouve quasiment rien à votre propos sur Internet.
C’est exact, et c’est voulu. Cela m’a coûté un bon dîner avec un ami spécialiste en informatique qui a effacé les choses sans importance à mon égard, qui traînaient sur Internet. Cette forme de sphère privée numérique me tient à cœur.
Que pouvez-vous nous dire sur votre vie privée ?
Je viens d’Argovie, je suis allé à l’école à Zofingue et j’habite aujourd’hui à Seengen. Je suis marié et père de trois enfants adultes.
Votre profil LinkedIn révèle tout de même que vous êtes responsable de la gestion des placements de la Banque cantonale bernoise depuis 2011. Et auparavant ?
J’ai passé toute ma carrière dans le domaine de l’investissement. J’ai fait mes premières armes chez Hayek Senior, précisément pendant la période électrisante où la première Swatch a été lancée sur le marché. Le mode de production entièrement automatisé, qui ne nécessitait plus que deux manipulations finales, était révolutionnaire à l’époque. J’étais notamment responsable des visites guidées de l’usine, après avoir pris soin de débarrasser les visiteurs de leurs appareils photos.
Depuis 2013, vous étiez membre du Conseil de fondation, dont vous avez assumé la présidence en 2017. Sur quoi vous êtes-vous concentré ?
Sur le domaine des placements, ce qui correspond à ma compétence professionnelle. Auparavant, les sujets juridiques et de conformité avaient un poids trop important à mon goût. J’ai fait pression pour que l’on s’attaque plus vigoureusement à de nouveaux produits, notamment aux placements illiquides.
Quels bons souvenirs garderez-vous ?
Cela a été une période passionnante, superbe et intense. Au début de la reprise de Swisscanto Direction de fonds SA par la Zürcher Kantonalbank, des grains de sable sont parfois venus se glisser dans les rouages. Dans pareil cas, il faut échanger, déballer ce que l’on a sur le cœur et en parler. C’est ce que nous avons fait et je trouve que nous y sommes plutôt bien parvenus. Les fondations sont en bonne voie dans une période difficile.
Qu’est-ce qui vous aide quand il y a des grains de sable dans les rouages ?
Ma philosophie, qui m’a d’ailleurs aidé à diriger mes collaborateurs. Avant tout, j’aborde les gens avec un état d’esprit fondamentalement positif, et je me méfie uniquement lorsque j’ai été déçu. Ensuite, j’encourage les points forts au lieu de critiquer les faiblesses. Je crois qu’une entreprise ne peut pas toujours avancer à 100 à l’heure, mais qu’elle doit parfois pouvoir monter à 120, voire à 150. Et pour que les gestionnaires de portefeuilles puissent appuyer sur la pédale d’accélérateur, je dois les laisser piloter, être là pour les guider et les soutenir. Les asset managers, par exemple, sont des experts parfaitement qualifiés. Il suffit de leur indiquer l’objectif à atteindre sans leur expliquer dans les moindres détails comment y parvenir. Et il faut comprendre le dilemme dans lequel ils se trouvent en tant que membres de l’organisation : d’un côté, ils prennent des décisions du type ” demain, je vais acheter pour 15 millions d’actions Nestlé ” ou ” je vais en vendre pour 5 millions “, mais de l’autre, ils sont obligés de commander le moindre stylo à bille au service interne du matériel. Si on les freine trop, ils ne rouleront jamais à 130. Et si toute l’organisation se traîne à 80, elle se fera dépasser par la droite et par la gauche.
Que doit-il se passer pour que la prévoyance redémarre ?
La redistribution des jeunes vers les personnes âgées doit cesser. Pour cela, il faut que le taux de conversion baisse davantage. Je suis tout à fait libéral et favorable à la démocratie, mais je trouve ahurissant d’appeler les citoyens à voter sur les taux d’intérêt à appliquer pour le taux de conversion. Il y a vingt ans, le système suisse de prévoyance caracolait encore en première place avec celui des Pays-Bas dans les classements internationaux. La malheureuse politisation nous a fait tomber en 12e position. Il faut regarder les choses en face : la préservation des acquis des plus âgés ne fonctionne pas. Mais il est difficile d’abandonner ses habitudes.
Plaidez-vous en faveur d’un assainissement à tout prix ?
Bien entendu, il faut veiller à ne pas laisser sur la touche les individus qui appartiennent au segment des bas salaires. Mais abandonner tout sens des responsabilités individuelles et se contenter de redistribuer ne peut pas être la solution. C’est difficile, mais nous ne vivrons pas éternellement sur l’île du bonheur. Il serait bon de se rappeler de temps à autre qu’il y a 100 ans, la Suisse était encore un pays pauvre. Quand il était enfant, mon père allait souvent se coucher le ventre vide. Quelques générations ont réalisé de grandes choses, et c’est cela qui est maintenant en jeu.
Comment faites-vous passer ce message auprès des jeunes ?
De nombreux jeunes Suisses ne connaissent malheureusement pas le monde, et ne comprennent donc pas ce qu’est la Suisse et à quel point notre Etat fonctionne bien. J’aime le fait que Swisscanto Fondations de placement ne se contente pas d’aborder ces questions, mais qu’elle agisse aussi. L’an dernier, l’assemblée des investisseurs à Zoug a évoqué les moyens de sensibiliser davantage les jeunes aux questions de prévoyance ; dans l’intervalle, des vidéos ont été réalisées pour expliquer ces sujets complexes le plus simplement possible et donner ainsi envie aux jeunes de les regarder.
Que pensez-vous du monde d’aujourd’hui ?
La montée du nationalisme m’inquiète. Et l’impression de billet, qui a commencé lors de la crise financière de 2008/2009, prend actuellement des proportions presque inouïes. Derrière ce nouvel argent, il n’y a pas de performance, pas véritable production. Les dommages collatéraux seront énormes.