De la fabrique de caoutchouc à l’entreprise de haute technologie – un entretien consacré à l’innovation et à la tradition

Urs Stadelmann est directeur de la caisse de pension de Dätwyler Holding AG. Il gère 450 millions de francs. Parallèlement, il assume encore d’autres tâches au sein du groupe. Cela ne fonctionne que parce qu’il peut s’appuyer sur une équipe dynamique et qu’il applique la devise « simplicité et pragmatisme ».

Monsieur Stadelmann, pouvez-vous nous expliquer en termes simples ce que fabrique le groupe Dätwyler ?

La chronique historique de notre entreprise s’intitule  « La force des choses insignifiantes ». Je trouve cela très approprié. Car d’innombrables produits, le plus souvent insignifiants, se retrouvent dans de nombreux domaines de la santé, de la sécurité, de la consommation et de la mobilité. Ainsi, une automobile sur deux dans le monde intègre des pièces de Dätwyler. En Suisse, nous fabriquons des pièces de précision en caoutchouc pour voitures ou des câbles en fibre optique utilisés pour l’Internet haut débit. Mais nous produisons aussi des capsules Nespresso. Au début, nous n’étions responsables que de leur étanchéité, assurée par la pose d’une mince couche de silicone. Ensuite, nous avons eu la possibilité d’assumer une étape de travail supplémentaire. Et aujourd’hui, nous fabriquons une grande partie des capsules en aluminium embouti. Mais nous devons chercher à faire toujours mieux et veiller à faire preuve d’innovation – sinon, les autres nous dépasseront.

Urs Stadelmann dirige la caisse de pension de la société Dätwyler Holding AG.

Vous parlez d’innovations – de quoi s’agit-il au juste ?

Depuis peu, nous produisons un nouveau type de capsules de café : elles sont un peu plus grandes et portent un code barre imprimé. Ainsi, la machine à café sait exactement quel café se trouve dans la capsule et quelle est la température de l’eau idéale pour libérer tous les arômes. C’est un produit du segment haut de gamme pour lequel nous avons pu marquer des points grâce à la grande qualité de nos opérations de transformation.

Auriez-vous encore d’autres exemples ?

Dätwyler IT Infra livre non seulement les câbles eux-mêmes, mais aussi toute l’infrastructure requise pour la mise en place d’un centre informatique. Une fois celle-ci  réalisée, nous la remettons au client clés en mains.

En 1915, Dätwyler a été fondée en tant que société de fabrication de câbles et de caoutchouc. Est-ce que vous fabriquez toujours de simples câbles ?

Non. Nous avons dû rechercher des créneaux spécifiques. Désormais, il existe des pays qui fabriquent les câbles usuels avec la même qualité, mais moins chers. Nous nous sommes spécialisés dans les câbles de haute qualité. Ainsi, nous fabriquons des câbles de données perfectionnés, des câbles de sécurité ou des câbles d’ascenseurs. Les exigences à cet égard sont élevées : les câbles d’ascenseurs transmettent toutes les données informatiques, par exemple lorsqu’une personne appuie sur un bouton dans l’ascenseur, qu’une annonce automatique est diffusée ou que la lumière s’allume. Ces câbles doivent être robustes et ne doivent pas s’emmêler dans la cage de l’ascenseur lorsqu’ils montent et descendent en même temps que la cabine. Même après des milliers de trajets. Le tunnel du Gothard possède également des câbles Dätwyler. Ils font partie de l’infrastructure du tunnel et doivent eux aussi répondre à des normes de sécurité rigoureuses et par exemple être résistants au feu. En outre, nos câbles équipent non seulement le Palais fédéral, mais aussi le stade Allianz-Arena à Munich et le Burj Khalifa à Dubaï.

Cela signifie que l’entreprise de caoutchouc, à laquelle les Uranais donnaient et donnent encore volontiers le surnom de « Gummi », est devenue une entreprise de haute technologie ?

Oui, absolument. Depuis la production de câbles en fil de cuivre et de pneus pour vélos jusqu’à la technique d’étanchéité, aux emballages pharmaceutiques et aux câbles en fibre optique.

Comment cela est-il accepté dans le canton de montagne d’Uri ?

Très bien ! Nous employons environ 900 personnes dans nos usines d’Altdorf et de Schattdorf et sommes ainsi le plus grand employeur du canton. La plupart des collaborateurs vivent dans la région. Le groupe Dätwyler est implanté dans le canton depuis plus de cent ans. Par le biais de la fondation Dätwyler, nous nous engageons également fortement lors de manifestations sportives et culturelles dans tout le canton. En outre, la société fournit également des services civiques : ainsi, une fois par an, le personnel participe au « Land scheenä » sur sol uranais, c’est-à-dire va enlever les pierres dans les alpages.

Sonja Spichtig en entretien avec Urs Stadelmann au siège de Dätwyler à Altdorf.

Comment trouvez-vous le personnel qualifié dont ont besoin les usines en Suisse ?

Plusieurs facteurs y contribuent. D’une part, les collaborateurs sont très fidèles. Nombre d’entre eux restent dans l’entreprise pendant plusieurs décennies. J’ai même félicité un jour un collaborateur qui célébrait ses 50 ans dans l’entreprise. A son arrivée, il avait eu besoin d’un certificat médical attestant qu’il était physiquement apte à faire son travail. Après tout, il n’avait que 15 ans à l’époque ! D’autre part, nous formons nous-mêmes la relève, par exemple des polymécaniciens. Bien sûr, nous sommes toujours en quête de nouveaux personnels qualifiés. Surtout dans le domaine de la technologie des plastiques, nous devons souvent recruter à l’étranger : la Suisse ne possède aucune formation universitaire en la matière.

Est-il facile de convaincre ces personnels qualifiés de venir s’installer dans le canton d’Uri ?

Certains manifestent quelques réticences parce qu’ils croient que nous vivons très mal en montagne. Mais c’est faux. On est à Lucerne en une demi-heure, et à Zurich en une heure. De nombreuses personnes préfèrent faire l’aller-retour. Mais beaucoup apprécient de vivre à proximité des montagnes et du lac.

Production de capsules Nespresso à l’usine de Dätwyler à Schattdorf.

Comment avez-vous géré la situation due à la pandémie ces dernières années ?

En fait, très bien, tout au moins en Suisse. Nous avons dû adapter la production pour assurer à tout moment le travail d’équipes fixes – c’est-à-dire pour qu’il n’y ait pas de rotations au sein des équipes. Lorsqu’une personne était testée positive, toute l’équipe partait en quarantaine et une autre équipe complète pouvait intervenir à sa place. La tâche était plus facile pour les employés de bureaux, qui pratiquaient le télétravail.

Et à l’étranger ?

Là, nous ressentons encore les effets de la pandémie. En Chine par exemple, où nous avons également des usines, les règles d’entrée dans le pays demeurent très restrictives. Les techniciens qui souhaitent se rendre dans l’usine sont tenus de passer cinq semaines en quarantaine. Ce n’est tout simplement pas faisable. C’est pourquoi nous avons recherché des solutions flexibles.

À quoi cela ressemble-t-il ?

Par exemple, dans notre usine en Inde, nous avons équipé un monteur d’une bodycam, qui a permis à nos monteurs en Europe de voir les machines en Inde et de lui donner des instructions sur les interventions à effectuer. Ces contrôles sont très importants pour nous permettre de maintenir nos standards de production, même dans ces pays.

Vous gérez la caisse de pension de Dätwyler. Combien de personnes vous confient leur argent ?

Nous comptons plus de 820 membres actifs et 580 retraités. La caisse possède une fortune de l’ordre de 450 millions de francs.

Gérer autant d’argent, n’est-ce pas parfois un fardeau ?

Si, bien sûr. Surtout lorsque les marchés des actions enregistrent des corrections comme lors de la crise financière de 2008/09. Ou récemment, lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine. Mais nous suivons une stratégie de placement largement diversifiée à long terme et nous pouvons nous appuyer sur un règlement de placement solide. En outre, nous disposons de réserves pour fluctuation de valeur qui nous aident à surmonter de telles phases.

Vous occupez un poste à 60 % en tant que gérant de la caisse de pension – comment parvenez-vous à gérer cela ?

Nous avons allégé les processus autant que possible. Lorsque j’ai commencé il y a 20 ans, il existait encore quatre caisses de pension différentes pour le personnel. Aujourd’hui, nous n’en avons plus qu’une. En outre, je peux compter sur le soutien de mon équipe dynamique. Notre credo est  « simplicité et pragmatisme », nous n’offrons qu’une solution de caisse de pension et non pas différentes variantes. Cela diminue la complexité. En outre, les effectifs du personnel ont été réduits sous l’effet de l’automatisation. Mon prédécesseur m’a confié que les usines d’Uri comptaient jadis deux fois plus de collaborateurs.

Sonja Spichtig et Urs Stadelmann avec une capsule Nespresso de dernière génération.

Vous évoquez le passé. En matière de caisse de pension, l’entreprise Dätwyler a été un précurseur : en 1948 déjà, elle créait une caisse de pension pour son personnel, bien avant que cela ne devienne obligatoire.

Oui, c’est exact. (Urs Stadelmann nous montre le règlement original de la caisse de pension de 1948.) L’idée patronale était présente très tôt : les dirigeants ont voulu assurer la prévoyance pour leurs employés et s’occuper d’eux. Ils ont construit des maisons mitoyennes sur la Dätwylerstrasse et même une piscine pour le personnel dans le bâtiment administratif – pour permettre d’apprendre à nager, car on dit qu’à l’époque, de nombreux Uranais ne savaient pas encore nager.

Vous vous occupez d’une caisse de pension de taille moyenne. Dans quelle mesure profitez-vous de l’expérience de Swisscanto Fondation de placement en tant que partenaire ?

Swisscanto Fondation de placement met à notre disposition des solutions de placement qui sont adaptées à notre situation. C’est une sorte d’organisation d’entraide : grâce à elle, nous pouvons nous associer à d’autres caisses de pension pour former une grande communauté d’achat. Nous n’attribuons pas de mandats de gestion de fortune, mais nous utilisons certains modules. L’accent est mis sur le rendement des produits, mais nous nous félicitons que la durabilité compte également beaucoup pour Swisscanto.

Aux côtés de la caisse de pension, vous assumez encore d’autres tâches dans l’entreprise. Lesquelles ?

J’aide l’entreprise lors d’acquisitions. Récemment, nous avons acheté une entreprise américaine comptant de plus de 1 000 collaborateurs qui fabrique des joints en silicone pour les prises des voitures électriques. En outre, je suis responsable de toutes les assurances du groupe. Les cyberassurances qui nous protègent en cas d’attaques de pirates sont particulièrement d’actualité. Par ailleurs, je suis responsable des impôts internationaux, des prestations de transfert et de l’imputation des coûts, et là, mon expérience d’expert-comptable m’est très utile.

Voilà qui paraît bien lourd. Ce n’est donc pas un emploi de neuf à cinq ?

Non, assurément pas. Je me lève tôt et je suis le plus souvent à 7 heures au bureau. Les réunions avec les experts en Chine et en Inde commencent à 8 heures à cause du décalage horaire. Celles avec les États-Unis ont traditionnellement lieu après 16 heures – ce qui oblige les Américains à se lever à 5 heures du matin. Le soir, je travaille généralement jusqu’à 18 heures. Mais je l’avoue, j’emporte parfois des dossiers avec moi à la maison.

Usine de Schattdorf – les capsules Nespresso sont emballées et préparées pour le transport.

Et le week-end ?

Je ne travaille pas. En tout cas, le plus souvent. Il est fermement ancré dans notre culture d’entreprise que l’on s’accorde une pause le week-end.

Comment vous détendez-vous ?

Pendant la pause de midi, je rentre généralement chez moi pour déjeuner avec ma famille ! C’est un grand privilège de pouvoir manger avec ma femme et nos deux enfants. Le week-end, je fais souvent du vélo électrique avec ma femme, par exemple sur la montagne de Schattdorf, le Haldi. J’aime aussi beaucoup la randonnée. Le canton d’Uri est un véritable paradis pour randonneurs. En hiver, je pratique le ski, bien sûr. En revanche, on me voit rarement au bord du lac d’Uri. Je suis plutôt un montagnard.

Une dernière question : sur le parking de l’entreprise, j’ai découvert les immatriculations UR 1, UR 2 et UR 3. Est-ce un hasard ?

Non (il rit). Les numéros UR 1, 2, 3 et 7 appartiennent à l’entreprise et peuvent être utilisés par les membres du conseil d’administration et de la Direction du groupe tant qu’ils exercent leurs fonctions. Cette concentration est probablement unique en Suisse. Elle s’explique par notre fondateur Adolf Dätwyler, qui était fan de technique et a commencé à acheter des voitures très tôt.

Urs Stadelmann, un grand merci de nous avoir accordé ce passionnant entretien !

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